Les Nouvelles de l’éducation

Journal pour les parents et pour les professeurs Les Nouvelles de l’éducation
Rédacteur en chef du journal «Les Nouvelles de l’éducation» Docteur en pédagogie, Directeur scientifique de l’Institut de la politique éducative «Euréka» à Moscou
Alexandre Adamsky

Nous commençons par Vygotsky

Le journal électronique «Les Nouvelles de l’éducation» sort désormais en Français.

«Les Nouvelles de l’éducation» est un journal électronique qui parle des problèmes de l’éducation, de la politique éducative, de la vie de l’école.
Le journal réunit des pédagogues, des formateurs, des chercheurs ou encore des experts du réseau éducatif innovant «Euréka» en Russie. Ce réseau a été créé en 1985, sous forme de clubs de la pédagogie créative (il y en avait plus de 500 en URSS). En 1986, le réseau a publié un manifeste pédagogique, intitulé «La pédagogie coopérative». Le manifeste est devenu la base de la perestroïka de l’éducation soviétique, il a marqué un tournant de l’autoritarisme et du dogme idéologique vers la pédagogie humaniste, la coopération avec l’enfant et le développement de la personnalité.
Le résultat de cette perestroïka pédagogique fut une politique éducative visant à élargir la liberté des écoles et des professeurs, la diversité des approches et des systèmes pédagogiques, l’autonomie des écoles.
Le passage à une ecole libre était long et compliqué. A l’avant-garde de ce processus était le mouvement «Euréka»: écoles et crèches innovantes, plateformes d’expérimentations, laboratoires de création, groupes de réflexion des chercheurs, professeurs et experts qui exploraient de nouvelles approches et qui créaient de nouveaux programmes. Suite à ce mouvement, des centaines d’écoles, de crèches et de centres éducatifs ont vu le jour, réunis par une philosophie commune, basée sur la coopération avec l’enfant, sur la liberté et la diversité.
L’une des lignes directrices du réseau «Euréka» est celle de la méthodologie du développement, proposée par le grand psychologue Lev Vygotsky. Les idées de Vygotsky sur la situation sociale du développement, sur l’intériorisation comme mécanisme de formation des concepts, sur la périodisation selon l’âge basée sur la psychologie d’action, enfin, «l’apprentissage de développement» proposé par les élèves de Lev Vygotsky: Daniil Elkonine, Vassily Dadydov et Leonid Zankov, tout cela a joué le rôle catalyseur pour le réseau d’écoles et de crèches innovantes, et c’est ainsi que la base des standards éducatifs fédéraux a été créée et adoptée en Russie.
Il y a deux ans, «Euréka» amenait en France un modèle de l’école maternelle d’enseignement complémentaire polylingue, fondé sur la théorie de Vygotsky.

En avril 2016, nous avons invité au traditionnel colloque «Euréka» en Russie un groupe important d’enseignants français représentant la Ligue de l’enseignement, avec Jean-Marc Roirant, l’IIEP de l’UNESCO, avec Muriel Poisson, et le lycée parisien Saint-Jean-de Passy, dirigé par François-Xavier Clément.

Après des sessions de formation pour les enseignants des écoles complémentaires, préparées par «Euréka», dix écoles en France ont adopté la méthode du développement polylingue.

Nous avons donc décidé qu’il était temps d’élargir le dialogue international des cultures éducatives à l’aide d’un support électronique qui serait consacré aux projets innovants.

Le premier numéro de la version française du journal «Les Nouvelles de l’éducation» sort à la veille du colloque pour le 120e anniversaire de la naissance de Vygotsky. Cette année, des colloques Vygotsky sont programmés dans le monde entier : en France, en Suisse, en Allemagne, en Arménie, en Biélorussie et en Russie.

Nous avons prévu que ce numéro serait composé d’une série de résumés et de textes que les participants français du colloque présenteront le 13 octobre 2016 au Centre de Russie pour la Science et la Culture à Paris. C’est pourquoi les textes et les titres ne sont pas tout à fait typiques pour un journal. Cependant, nous espérons que l’intérêt du contenu de ces textes compensera la forme, et nous remercions nos premiers auteurs d’avoir donné leur accord pour cette publication.

La version française du journal « Les Nouvelles de l’éducation » n’est pas une traduction en Français des textes russes : nous invitons les pédagogues, les chercheurs et les experts francophones à participer à notre échange des cultures éducatives, à réaliser ensemble nos idées innovantes.

Je tiens à remercier Inna Merkoulova, rédactrice de la version française, d’avoir rassemblé et préparé les textes pour ce premier numéro.

J’espère que nos rencontres avec les lecteurs français seront régulières et je les attends avec joie.

Augustin Mutuale

Docteur en Philosophie et en Sciences de l’Education, professeur et directeur du cycle doctoral à l’Institut Supérieur de Pédagogie de l’Institut Catholique de Paris, enseignant à l’Université Paris 8 et à l’Université Paris 13

Piaget et Vygotsky en débats: Pour une humanisation de l’enfant en relation d’apprentissage

En prenant prétexte d’une confrontation entre Lev Vygotsky (1896–1934) et Jean Piaget (1896–1980) qui, malgré leur contemporanéité, ne se sont pas confrontés sur l’acquisition des connaissances, nous proposons l’originalité philosophique des recherches de Lev Semenovitch Vygotsky.

Pendant toute une période, Piaget a été l’auteur officiel des manuels de l’Education Nationale française. Dans le sillage de Rousseau, et de la formule très forte du livre quatrième de l’Emile ou de l’éducation, il éliminera pratiquement toute relation éducative dans l’apprentissage. Pour Rousseau, «Tout ce qui se fait par autrui se fait mal quoiqu’on s’y prenne». Ou encore «les instructions de la nature sont tardives et lentes ; celle des hommes sont presque toujours prématurées».

Avec Piaget, comme chez Rousseau, il n’y a de prise en charge de l’enfant, ni dans le rapport éducatif, ni dans le développement de l’intelligence chez celui-ci. Il convient d’attendre, en observateur, avec le minimum de stimuli possibles que l’enfant passe d’un stade à un autre. Ils ne croient pas réellement en l’action éducative ni non plus dans le fait que l’on puisse réellement instruire une personne.

Piaget va rencontrer le succès dans le système français avec ses observations relatives aux mécanismes de formation des connaissances et de développement de l’intelligence de l’enfant par le biais de différents stades correspondant à des groupements d’intelligence concrète ou d’intelligence abstraite.

Avec lui, chaque stade résout un ensemble de problèmes par le canal des acquisitions. Nous nous trouvons pratiquement dans la sphère des lois générales et nécessaires composant une suite de linéarités, qui font que, par des procédures mécaniques, la personne passe d’un stade à un autre.

Vygotsky nous fait nous déplacer, par la médiation culturelle et la présence active de l’autre, du rapport au savoir vers une relation d’éducation. L’interaction en éducation ne serait pas seulement un exercice d’apprentissage des savoirs mais plutôt, une entrée dans la culture, dans la question du sens comme réponse à la question qui se pose à tout existant en lien avec soi, l’autre et le monde.

Les zones Proximales du Développement sont organisées autour des interactions qui rendent possible, en créant des brèches, un déplacement pour aller ailleurs ; c’est-à-dire s’humaniser. Ainsi, sa théorie psychologique de l’apprentissage et du développement ne se limite pas à un descriptif purement naturaliste de l’évolution mais fait travailler le sens du passage d’un stade à un autre. Avec Vygotsky, ce n’est plus le passage en lui-même qui est étudié. Il s’agit d’analyser la façon dont le passage d’un stade à un autre stade se construit et ce par l’invention du stade qui suit.

En mettant en étude des niveaux de médiation de plus en plus opératoires et profonds et en donnant une place à l’Autre par la médiatisation des niveaux de

communication entre les individus, Vygotsky propose une nouvelle lecture de l’apprentissage. Si Piaget se pose essentiellement la question du «comment je deviens intelligent», Vygotsky s’interroge sur le «comment je deviens humain».  C’est cette audace d’une genèse sociale du psychisme, dans l’interaction par l’apprentissage, que nous allons prolonger dans une prospection de l’incertitude comme événement ou avènement par l’altération, le tiers, le pli, l’absence, l’interstice, l’imprévisible ou encore la brèche dans ce monde qui nous est commun.

Il ne s’agit pas, par le biais d’un tour de magie, de faire de Vygotsky un philosophe de l’humanisme. Notre propos est de poser le fait, qu’en psychologue réinterrogeant la psychologie, il ouvre l’expérience pédagogique de l’apprentissage à la question philosophique kierkegaardienne du cheminement expérientiel de chaque enfant en interaction avec le monde qui l’a précédé faisant de lui un humain.